ALLEMAND (CINÉMA)

ALLEMAND (CINÉMA)
ALLEMAND (CINÉMA)

Le cinéma allemand des années 1920 avait été le meilleur cinéma du monde, et il a été pillé par Hollywood bien avant la grande migration de 1933. À l’époque contemporaine, le cinéma d’auteur est devenu, plus que la littérature peut-être, l’exportation la plus prestigieuse d’un pays, l’Allemagne fédérale, dont l’image extérieure reste si complexe. Lotte Eisner, survivante et historienne des années 1920, écrivait à son ami Fritz Lang en 1968: «Sais-tu qu’il y a de nouveau de bons films en Allemagne?» Et celui-là, marqué par l’échec de son retour, en 1958-1960, de répondre qu’il ne pouvait pas le croire... C’est pourtant à une véritable renaissance que l’on allait assister au cours des années 1970. L’audience rencontrée par le cinéma d’auteur allemand, en particulier en France, a toutefois subi un très net fléchissement après 1984, et les années 1980 sont marquées par une sorte de crise larvée qui semble atteindre les rapports avec le public et les conditions de la création.

La nouvelle vague des années 1960 et 1970, appelée jeune cinéma allemand, n’a d’abord été qu’un mouvement minoritaire dont l’irruption dans un des paysages cinématographiques les plus mornes d’Europe était parfaitement inattendue. Au lendemain de la guerre, quelques auteurs se sont attachés à l’analyse des réalités du pays, sans que la fin du nazisme donne naissance à une école cinématographique comparable en qualité et en profondeur à celle qui s’épanouit en Italie à la même époque. À partir de 1949, le cinéma de la R.F.A., entièrement orienté vers les productions les plus commerciales, essentiellement préoccupé de satisfaire un marché intérieur, est, jusqu’aux années 1960, un cinéma voué aux genres les plus stéréotypés. C’est le triomphe de l’opérette filmée et du Heimatfilm (idylle campagnarde idéologiquement conservatrice), du film de guerre tendant à dédouaner la Wehrmacht de son passé récent ou des bluettes sentimentales à la Sissi . Pas de miracle dans un tel cinéma, qui s’est révélé incapable d’intéresser les anciens émigrés vite découragés (à l’exception de Robert Siodmak) et de favoriser les desseins de quelques esprits indépendants comme l’antifasciste Wolfgang Staudte, auteur de Les assassins sont parmi nous (Die Mörder sind unter uns , 1946) et de Je ne voulais pas être un nazi (Kirmes , 1960), l’humaniste chrétien Harold Braun, ou encore Helmut Käutner qui tente l’aventure hollywoodienne en 1957. Leur héritier sera Bernhard Wicki, dont Le Pont (Die Brücke , 1959) est considéré à la fois comme le point d’aboutissement de la tradition réaliste allemande et le point de départ d’une nouvelle approche de la production menée du point de vue de l’auteur.

La production cinématographique de la R.D.A., beaucoup moins abondante et moins préoccupée par le marché, a bénéficié à ses débuts du retour de quelques émigrés et du maintien en activité, près de Potsdam, des studios de Babelsberg. Bien vite, les directives idéologiques ont fait naître une série d’œuvres exaltant les héros de la classe ouvrière et orienté la production vers l’adaptation des textes classiques et de grands sujets historiques. Quelques films, toutefois, réalisés par Gerhard Klein ou Konrad Wolf, se risquent à une critique de la vie quotidienne. Quelques années après l’édification du Mur de Berlin, une sorte de dégel paradoxal encourage ce type de réalisme, mais l’interdiction brutale et simultanée d’une douzaine de films réalisés en 1965 et 1966 met fin à ce processus de libéralisation et, sans doute, anéantit toute chance de voir se développer un mouvement cinématographique véritablement novateur, à l’exception du domaine du documentaire, genre qui a toujours été très actif en R.D.A.

L’affirmation d’un cinéma d’auteur

À l’Ouest, l’acte de naissance du jeune cinéma allemand se situe en février 1962 au festival d’Oberhausen où vingt-six jeunes auteurs de courts métrages et de documentaires (un seul ayant déjà tourné un long métrage) signent un manifeste exactement contemporain de la faillite retentissante de la plus grande société cinématographique du pays, la U.F.A. Pour eux, la crise prouve qu’il est temps d’édifier un nouveau cinéma. Des institutions favorisant le financement des premiers films seront mises en place peu après, ainsi que les premiers établissements d’enseignement cinématographique de haut niveau. Les œuvres réalisées par les nouveaux venus rencontreront immédiatement un grand succès critique, parfois même un relatif succès public, tels Les Désarrois de l’élève Törless (Der junge Törless ) de Volker Schlöndorff, primé au festival de Cannes, et Anita G. (Abschied von Gestern ) d’Alexander Kluge, couronné à Venise. Les jeunes cinéastes allemands sont liés parfois au cinéma expérimental, tel Werner Herzog dans ses premiers longs métrages réalisés en 1967 (Signes de vieLebenszeichen ) ou en 1968 (Fata Morgana ). Ils sont des chercheurs, tels Edgar Reitz et Alexander Kluge, désireux d’exploiter toutes les ressources du montage, ou le Français immigré Jean-Marie Straub, tenté par de nouveaux procédés narratifs (Chronique d’Anna Magdalena Bach , 1968). Beaucoup sont influencés par la nouvelle vague française, en premier lieu par Godard, parfois par Chabrol ou Resnais. Ils critiquent la société de consommation et la bonne conscience entretenue par le miracle économique. Plus morale que sociale, souvent individualiste et dominée par le conflit des générations, cette révolte n’est dépassée que chez Alexander Kluge, Edgar Reitz et Theodor Kotulla, les plus théoriciens, mais aussi les plus conscients de l’histoire – ou par le Peter Fleischmann des débuts qui, à contre-courant du Heimatfilm, dénonce le fascisme rampant de la société rurale conservatrice dans Scènes de chasse en Bavière (Jagdszenen aus Niederbayern , 1969). Les pionniers d’Oberhausen ont défriché les espaces au profit d’un cinéma d’auteur allemand dont l’âge d’or prend place dans les années 1970. Soutenus par des aides publiques de plus en plus diversifiées à l’échelon fédéral et régional, et attribuées sur critères qualitatifs, bénéficiant également d’une coopération avec les chaînes de télévision, les tenants du jeune cinéma allemand s’imposent dans les institutions, dans l’opinion et même dans les salles de cinéma. L’année 1979 marque l’apogée de cette évolution avec les succès du Tambour (Die Blechtrommel ) de Schlöndorff d’après Günter Grass, du Mariage de Maria Braun (Die Ehe der Maria Braun ) de Rainer Werner Fassbinder et du Nosferatu de Herzog.

Volker Schlöndorff, dont les films sont souvent des adaptations littéraires, est le représentant le plus connu d’un certain classicisme de la mise en scène. L’Honneur perdu de Katharina Blum (Die verlorene Ehre des Katharina Blum , 1975), d’après le récit de Heinrich Böll, dénonce dans un style quasi hollywoodien les excès de la presse à sensation. Plus posés, Le Coup de grâce (Der Fangschuss , 1976) ou Le Faussaire (Die Fälschung , 1981) tentent de saisir toutes les contradictions d’une situation historique précise: celle des pays baltes vers 1918 (d’après le roman de Marguerite Yourcenar) ou celle du Liban déchiré par les guerres civiles (d’après un livre de Nicolas Born). Homme de gauche, Schlöndorff a été avec Kluge le principal animateur de plusieurs films collectifs portant témoignage «à chaud» sur les problèmes intérieurs allemands, tel L’Allemagne en automne (Deutschland im Herbst , 1978) dont le sujet est moins le terrorisme du groupe Baader que l’hystérie antiterroriste de l’État et des institutions.

Alexander Kluge a réalisé une série de films reposant sur les potentialités du montage, la distanciation et les associations les plus paradoxales. Doué pour l’ironie, il scrute l’histoire de l’Allemagne – comme dans La Patriote (Die Patriotin , 1979) –, analyse la situation des femmes – Travaux occasionnels d’une esclave (Gelegenheitsarbeit einer Sklavin , 1973) – ou dessine une parabole amèrement lucide des contraintes sociales – Les Artistes sous le chapiteau: perplexes (Die Artisten in der Zirkuskuppel: ratlos , 1967).

Theodor Kotulla, un des cinéastes les plus estimés en Allemagne, quoique des moins connus à l’étranger, a réalisé son chef-d’œuvre en 1976 d’après le roman de Robert Merle: La mort est mon métier (Aus einem deutschen Leben ) où la vie du commandant d’Auschwitz est disséquée sous le double enseignement de Bresson et de Brecht.

Werner Herzog, le cinéaste qui incarne le mieux la figure de l’Allemand aux yeux de l’étranger, a d’abord séduit par sa dialectique du sous-homme et du surhomme, et par la puissance de ses portraits d’aventuriers tel Aguirre, la colère de Dieu (Aguirre, der Zorn Gottes , 1972), conquérant de l’inutile qui se perd dans l’univers amazonien, comme le fera Fitzcarraldo (1982) dans une sorte de remake cinématographique utilisant le même acteur (Klaus Kinski).

Rainer Werner Fassbinder, dont la mort précoce a interrompu une carrière d’une exceptionnelle fécondité (une quarantaine de longs métrages et de téléfilms en treize ans), a été, selon une expression de Bernard Eisenschitz, le «Boy Wonder» du jeune cinéma allemand. D’une œuvre foisonnante et diverse, on retiendra les mélodrames distanciés qui ont fait sa réputation en 1971-1974, ses analyses sans concession de la société homosexuelle (Le Droit du plus fortFaustrecht der Freiheit , 1974), ses chroniques incisives de l’Allemagne des années 1950 dont Le Mariage de Maria Braun (1978) et ses deux fameuses adaptations de textes littéraires: Effi Briest (Fontane Effi Briest , 1972-1974) et Berlin Alexanderplatz (1980).

Hans Jürgen Syberberg, dont le prestige a été plus grand en France que dans son propre pays, a répudié tout naturalisme au profit d’une mise en scène parfois très théâtralisée, instrument d’une réflexion ambitieuse sur ce qu’il considère comme les grands mythes fondateurs de l’Allemagne moderne: Ludwig (Ludwig. Requiem für einen jungfräulichen König , 1972), Karl May, à la recherche du paradis perdu (Karl May , 1974), et Hitler, un film d’Allemagne (Hitler, ein Film aus Deutschland , 1977).

Helma Sanders-Brahms a su exprimer une sensibilité féminine, voire féministe, dans plusieurs films où le sentiment dynamise l’observation sociale ou historique – en particulier dans Les Noces de Shirin (Shirins Hochzeit , 1975) et Allemagne, mère blafarde (Deutschland, bleiche Mutter , 1981).

Wim Wenders s’est fait connaître par quelques films dotés de significations universelles mais très enracinés dans la réalité allemande, parfois influencés par l’univers de l’écrivain Peter Handke: Alice dans les villes (Alice in den Städten , 1973), Faux Mouvement (Falsche Bewegung , 1974), Au fil du temps (Im Lauf der Zeit , 1976). Il est devenu un des cinéastes de la modernité internationale (Paris, Texas , 1984). Située à Berlin, sa dernière œuvre allemande, Les Ailes du désir (Der Himmel über Berlin , 1987) propose une réflexion sur le statut de l’homme.

La fin d’un âge d’or

La mort de Fassbinder en 1982, à l’âge de trente-sept ans, l’achèvement de la grande fresque d’Edgar Reitz, Heimat (1981-1984), qui embrasse l’histoire de l’Allemagne de 1918 à 1982, marquent la fin d’un âge d’or. Alexander Kluge, Kotulla, Syberberg n’ont plus réalisé de films depuis 1985. La carrière de Schlöndorff, établi aux États-Unis, se déroule à l’étranger après Un amour de Swann , réalisé en France en 1983. Wenders et Herzog sillonnent le monde et ne tournent plus qu’exceptionnellement en Allemagne. D’autres (Margarethe von Trotta, Bernhardt Wicki, Hans W. Geissendörfer, l’Autrichien Axel Corti) se sont laissés séduire par les schémas à risques des coproductions européennes ou par les projets coûteux, mais fades, destinés à satisfaire les chaînes de télévision qui les financent. En outre, comme l’ont prouvé les comédies réalisées par Doris Dörrie, les succès du marché allemand ne sont pas, ou ne sont plus, exportables. Une des rares exceptions est due à Percy Adlon, qui a connu un certain succès en 1987 avec l’aimable Bagdad Café (Out of Rosenheim ), tourné en anglais aux États-Unis.

Les successeurs des auteurs nés au cours des années 1930 et 1940 tardent à s’imposer, et les règles de la production artisanale constituent peut-être aujourd’hui un frein plus décisif aux jeunes ambitions, malgré la permanence des aides à la création et le soutien – parfois ambigu et presque toujours limité – des chaînes de télévision. Néanmoins, on a pu voir depuis la fin des années 1970 des films prometteurs signés Thomas Brasch, Josef Rödl, Uwe Schrader, Hans Christian Blumenberg, Jan Schütte, Christian Wagner.

Dans l’ex-R.D.A., où une grande solidité professionnelle s’est maintenue dans un cinéma sous surveillance, plusieurs réalisateurs semblent capables d’affronter les nouvelles conditions de travail nées de l’unité allemande: ainsi de Frank Beyer, qui avait déjà réalisé en 1988 un film coproduit entre les deux Allemagnes (Le CasseDer Bruch ), Roland Graf, qui a adapté en 1990 le roman de Christoph Hein Le Joueur de tango (Der Tangospieler ), ou encore Heiner Carow, Rainer Simon, Siegfried Kuhn.

Si le cinéma allemand existe à grand peine sous l’angle commercial, il continue de bénéficier du prestige acquis par le jeune cinéma de la R.F.A. des années 1970. La réunion des deux Allemagnes et l’extension du potentiel de production que peut favoriser le maintien en activité des studios de Berlin-Est, les programmes de télévision qui ont su conserver une touche cinéphile, ainsi que la réalisation de certains projets menés à l’échelle européenne, peuvent offrir un second souffle aux auteurs-réalisateurs qui, chaque année, se révèlent dans les festivals.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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